Il est des êtres que l’on ne voit pas car ils sont conçus pour ne
pouvoir être vus. Certains les nomment lutins, gobelins, farfadets,
quand d’autres les désignent tout simplement comme nos anges.
A la manière de ces grains de poussières qui font des farandoles
quand un rayon de soleil auréole le sol, ils volètent dans l’air autour de nous.
A quoi servent-ils donc si nul ne peut les voir ?
Missionnés pour éveiller nos consciences, ils ensemencent en nos cœurs, à
longueur de journée, mille belles idées pour que tout un chacun puissions rendre
les autres heureux. Hélas, souvent préoccupés par d’autres agitations, nous
manquons d’attention, et loupons la plupart de leurs belles intentions.
Profitant de ces temps de l’Avent, les yeux tournés vers le ciel, cultivons notre
disponibilité intuitive : « Qui fera fleurir autour de lui ce que les anges ont semé
distribuera bonheur, félicité et paix… »
Conte pour Noël
Novembre 2023
… A quelques jours de Noël, la petite Zoé, profitant de ses vacances, avait quitté
Paris pour la vallée de Munster. Sa dynamique grand-mère était venue en side-
car l’accueillir à la gare de Colmar, et depuis, toutes deux, bras-dessus, bras-
dessous, étaient en grande joie. Ce n’était un secret pour personne : Zoé adorait
sa grand-mère, et sa grand-mère adorait avoir auprès d’elle sa charmante petite
fille. Grand-mère disait à qui venait les visiter, voisins ou facteur : « toute minute
passée avec la petite a la douceur d’une croquantine chocolatée d’un maître
pâtissier ! ». Le cœur sous la main, Zoé enluminait son quotidien, ne cessant de
chercher à offrir, faire plaisir, réjouir, complimenter, remercier, rendre service…
Le clocher de l’église venait de marteler quinze heures. Près de la cheminée,
grand-mère finissait d’agencer dans un panier d’osier les fagots qu’elles venaient
de ficeler. Accoudée sur le rebord de la table de la cuisine, le chat roux Dandelou
lové sur ses genoux, Zoé regardait par la fenêtre les prés du Landersen.
Quelle joie de pouvoir contempler les champs, la montagne, la forêt ! C’était bien
plus joli ici qu’à Paris ! A Paris, le seul horizon que lui offrait la lucarne de sa
chambre, c’était quelques toits gris, et un tout petit bout de tour Eiffel.
Mon Dieu qu’il faisait beau ! Elle en avait de la chance ! Zoé admirait la farandole
des grains de poussières qui voletaient dans la lumière du soleil comme de
minuscules insectes. Cependant qu’elle s’extasiait du spectacle, voilà que dans
un recoin, tout en bas, sur la droite, perché sur ce billot de bois où grand-mère
fendait les bûches, une petite mésange jaune et bleue attira son regard. L’oiseau
regardait vers le sol, ses ailes pendaient comme déprimées. La pauvre petite
créature semblait triste, désappointée.
Intriguée, l’enfant se rapprocha de la fenêtre et se hissa sur la pointe des pieds
pour mieux voir ce qui causait tant de détresse. Ce que le pauvre passereau
regardait ainsi, c’était le nichoir en noix de coco qui, normalement suspendu à
un crochet de la soupente de la remise à bois, soufflé par le vent, avait quitté
son attache pour se briser au sol.
Zoé savait que la petite mésange avait besoin de cet abri pour se protéger de
l’hiver, de la pluie, de la neige, et du froid. Dès qu’il fait moins de trois degrés, lui
avait dit naguère son grand-père, il faut que nos petites mésanges, nos rouges-
gorges, nos moineaux, puissent aller dans des trous se cacher. Zoé à l’écoute de
ce que les bons anges venaient de lui déposer au dedans de son cœur, appela
grand-mère pour la prévenir de ce grand malheur : ne fallait-il vite redonner, au
plus vite, à l’oiseau une nouvelle maison… ?
Grand-mère fouilla dans sa poche. Quand elle bricolait, elle suivait un rituel
espiègle qui réjouissait Zoé : elle sortait de sa poche la pipe de grand-père, se la
mettait en bouche, faisait mine de fumer. Aussitôt qu’elle eut vent de l’histoire,
la pipe au coin des lèvres, grand-mère s’empressa de refaire, avec sept morceaux
de bois et quelques clous : un nouveau nichoir, un nouveau toit.
Dès qu’il fut suspendu, la petite mésange se mit à battre des ailes, s’égosilla,
chanta à tue-tête. Zoé dansait heureuse autour de grand-mère qui riait.
Un papillon qui arborait sur ses ailes rouges quatre gros points ronds comme des
yeux, sorti de derrière un lot de planches qui séchait dans la remise. Réveillé par
le vacarme, il demanda ce que pouvait provoquer tout ce remue-ménage ! La
petite mésange jaune et bleue expliqua au papillon la raison de sa joie. Le nichoir
était tombé, la petite Zoé l’avait vu, grand-mère en avait refait un qu’elle venait
de fixer.
Le papillon, qui connaissait bien le bon état d’esprit de la petite Zoé, formula
dans le creux de son cœur, une pensée. La porte de la remise était restée ouverte
et le vent qui s’engouffrait, lorsqu’il soufflait trop fort, lui causait de l’inconfort.
Il se dit que ce serait bien si quelqu’un pouvait y remédier.
Cette prière à peine énoncée, Zoé qui s’en allait, se retourna comme si une
mouche venait de la piquer, et vit le joli papillon. Bien sûr elle connaissait son
nom. Grand-père, lorsqu’il vivait encore, le lui avait montré dans l’un des
nombreux livres de la bibliothèque : c’était un paon du jour… Elle jaugea la porte
laissée ouverte, maugréa que ce n’était guère prudent de laisser ainsi cette porte
ouverte tout le temps. Un jeune renard en y entrant, pour amuser ses dents,
pourrait, sans vouloir à mal, emporter l’un des outils qui emplissaient les caisses
posées à même le sol, au pied du vieil établi. Pire, un gamin chapardeur qui
passerait ne manquerait pas de se servir. Et que dirait grand-mère ? Grand Dieu,
si l’un des outils de grand-père disparaissait, grand-mère, très certainement, s’en
montrerait chagrinée.
N’écoutant que son cœur, Zoé se hâta d’aller refermer la porte qui invitait au
méfait. Le papillon exécuta une série de loopings, tout en joie.
Un lézard, réfugié dans une fente le long de la fenêtre de la remise, réveillé par
les chants de la mésange, vint à montrer le bout de son nez. Amusé par les
acrobaties du paon du jour virevoltant derrière le carreau fendu, il demanda à la
mésange la raison de ce laisser-aller !
La mésange lui expliqua : le nichoir tombé au sol, la porte de l’établi laissée
ouverte, l’intervention de la grand-mère, celle de la petite Zoé.
Le lézard regarda la fillette, songeur.
Il pensa que ce serait cool si on pouvait lui faire, pour le printemps prochain, un
amoncellement de pierres bien exposé au soleil. Les pierres, selon si l’on est
dessus, ou en dessous, sont utiles pour délivrer de la chaleur quand il fait trop
froid, et de la fraicheur quand il fait trop chaud.
Aussitôt formulé, sitôt semé, exécuté.
Toujours à l’écoute de ce que lui dictait la petite voix de son cœur, Zoé se dit que
ces cailloux qui dépassaient d’un peu partout sur le chemin représentaient de
vrais dangers pour les pas de grand-mère. Elle l’avait déjà vue sur l’un d’eux
trébucher. L’enfant s’empressa de ramasser les pierres qui, ici et là, traînaient,
et les empila au pied du vieux tilleul crevassé qui servait de paratonnerre.
Il y en avait une bonne cinquantaine, cela faisait un bel amas. Grand-père lui
avait suffisamment parlé des lézards pour le savoir : ils appréciaient les pierriers
ainsi disposés. Le lézard n’en revenait pas ! Il demeurait figé, la bouche ouverte,
béat à en paraître niais !
Accroché au tronc du vieux tilleul, partaient d’énormes branches qui ombraient
la remise où hivernait le papillon, la mésange et le lézard…
Dans l’une d’elle, émergeant d’une cavité, un loir, au poil ébouriffé, aux yeux
ensommeillés, vint s’enquérir, en baillant, de ce qui justifiait un tel tintamarre !
On le lui expliqua ! Ah, ainsi tout ce bruit, c’était ça : la gentille petite Zoé était
revenue ?! Excellentissime ! Cet été lors de ses précédentes vacances, elle lui
avait ramassé tout un seau de noisettes que grand-mère avait fixé à bonne
hauteur, à un clou. Avec ses deux compères, le lérot et l’écureuil, ils s’étaient
servis tout septembre, sans craindre la dent de Dandelou le vieux matou.
Le loir héla écureuil et lérot !
- Hé les copains, venez voir : la petite est revenue !
Le lérot et l’écureuil, sortant de leurs cachettes, vinrent se réjouirent eux aussi :
Zoé était là pour les fêtes de Noël ? Chouette ! Cela promettait une joyeuse fin
d’année ! Au mot « chouette », Monsieur Hibou qui habitait plus haut, dans un
trou plus gros, à son tour sortit. Et savez-vous ce qu’il fit quand il vit tout en bas
du vieil arbre, la gamine ? (Dites-moi : trouvez-vous ? Ou préférez-vous donner
votre langue aux crocs de Dandelou ?).
Eh bien, se tortillant et de droite, et de gauche, à s’en rompre le cou, Monsieur
Hibou, qui connait tout sur tout, fit retentir un « houhou » cadencé. Chacun qui
habitait autour de la demeure, rappliqua dans l’étoffé feuillus… Zoé battit des
mains en voyant le tilleul se recouvrir ainsi d’une foultitude de petites boules de
vie ! Elle ria à gorge déployée ! C’était comme si le vieil arbre craquelé, sous ses
yeux, se métamorphosait en un géant sapin de Noël !
Grand-mère, assise en retrait dans sa chaise à bascule, tout en faisant mine de
tirer sur la pipe de grand-père d’épaisses bouffées de fumée, pensa, en
regardant sa petite fille, que, oui, vraiment, l’on reçoit bien du plaisir quand on
a près de soi quelqu’un qui aime donner.
Jojo le blaireau, Sondernach
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